Comme on cueille un Camélia
- Calytrix
- 29 oct.
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 1 jour
Il était une fille au joli prénom de Camille. Camille n'était pas comme les autres car son esprit était comme l'eau croupie. Pour vous dire, son âme était noircie. Nul ne percevait cet être qu'elle cachait. Oui, elle taisait sa partie sombre. Elle attendait, l'œil immobile, cachée dans l'ombre. Nul ne savait quoi, qui, pourquoi.
Camille attendait, c'était un fait. Elle attendait la nuit noire, elle aimait ça, le sombre et son pouvoir. Elle appréciait l'obscurité et dans celle-ci, elle patientait. Elle guettait le sourire aux lèvres. Nul ne savait quoi, qui, pourquoi.
Elle révélait sans répit des récits maudits, des histoires sans espoir. Passionnée, elle adorait les croire, son imagination était si vive qu'il lui arrivait même de les voir. Elles étaient sa joie. Oui, de cette obsession, elle était captive. Nul ne savait quoi, qui, pourquoi. C'était comme ça.
Étrangement, âme qui vive ne les entendait. Qui aurait pu dire pourquoi, pour qui faisait-elle cela ? Dans la pénombre, ses yeux brillaient comme des étoiles. Ce soir-là , la mignonne traversa le voile. Le sourire aux lèvres, la charmante grinça des dents, pour qui, pour quoi, nul ne savait, nul n'entendait.
Et malgré cela, elle croyait semer l'effroi, régner sur l'ombre, enfin, c'est ce que je croyais. Je la voyais au loin, pourquoi, je ne le sais toujours pas. Je l'apercevais dans l'année, au moins une fois. Camille se délectait de l'épouvante qu'elle imaginait, elle savourait dans leurs yeux la terreur, enfin, c'est ce qu'elle voyait. Nul ne savait quoi, qui, pourquoi. C'était comme ça.
Et c'était comme ça depuis longtemps, non pas si longtemps que ça. Une fois par an, à la nuit où le voile entre le monde des vivants et celui des morts se dissipait. Camille attendait. Pourquoi, qui, quoi ? Moi je sais.
Elle attendait son moment. Oui, tous les ans, ce moment se manifestait. Pourquoi, qui, quoi ? Moi je sais.
Il était un joli garçon. Je ne me souviens plus de son prénom. C'était le garçon sans nom, sans prénom. C'était un garçon de glace, au regard de pierre, au visage sans grâce. Chaque année il criait tout fier :
« Tu ne fais peur à personne, pauvre folle. Ils ne te voient pas, comme ta bêtise est drôle. Tu es loin Camille. Pauvre fille, tu es morte depuis belle lurette, cesse tes sottises, petite marionnette. »
J'aimerais vous dire que l'histoire se finit là , comme ça. Non, ce n'est pas comme ça.
Camille sourit, un de ses sourires en biais. Un de ces sourires parfaits révélant à cet instant son contentement. Ce joli garçon sans prénom, sans nom, elle le connaissait. Elle l'attendait. Pourquoi, qui, quoi ? Moi je sais.
L'esprit obscur comme une nuit sans lune, sans étoiles, elle s'interrogea : « Qui, quoi, pourquoi, savait-il, lui aussi qu'il n'existait que dans l'au-delà ? » Clairement, cette conception ne le touchait pas, pas encore en tout cas, et c'était comme ça à ce moment-là .
Oh c'était il y a bien longtemps ou peut-être pas. Sincèrement, je l'ignore. J'ai ouï dire des contes et des histoires, mais pour tout vous dire, j'étais ailleurs ce jour-là , du moins...
L'histoire raconte qu'un soir, dans la grande maison sur la colline, la voyez-vous ? Oui, celle-là , là -bas. Camille, la jolie fille et le garçon sans prénom, pour des raisons sans raison, se disputèrent. Dans sa colère, le cruel poussa Camille. Dans l'escalier, la jolie fille roula comme une pierre. Qui, quoi, pourquoi, tous chuchotent que ceci, un accident n'était pas.
Alors comment était-il mort celui-là ? La rumeur souffle qu'il l'avait belle et bien poussée dans l'escalier, qu'en la voyant rouler et se casser, il avait belle et bien ri, ricané aussi. Dans sa méchanceté, sa joie malsaine, il fit la rencontre de sa destinée. Oui, le mal adroit fit un faux pas et bascula dans l'inanité. Ainsi il rejoignit Camille dans le néant et l'infini de ses plaines. Il se perdit, en tout cas, c'est ce qui est dit. Pourquoi, qui, quoi, je ne sais pas, ailleurs, j'étais à ce moment-là .
Aujourd'hui, je suis là , assise en haut de l'escalier et je ne peux, chaque année, m'empêcher de questionner ce moment, cette soirée. Oui, leurs spectres je vois, je ne sais pas pourquoi. Le risible et tout à fait amusant c'est que moi aussi j'attends. J'attends cet instant précis, si intense et je pense, pourquoi, qui, quoi : La vengeance, est-ce le geste, ou la prise de conscience ?
Camille s'approche de ce garçon si cruel, son sourire ne l'a pas lâchée, d'ailleurs c'est ainsi chaque année. D'un geste lent et doux, presque maternel, elle porte sa main sur sa joue, caresse. Une caresse presque fidèle, oui presque, laissant ce garçon béat, oui comme ça. Il est tout raide, béat... non, plutôt figé d'effroi, car il ne comprend pas pourquoi, qui, quoi.
Cette caresse presque fidèle, était-ce manipulation, amour, pardon ? Ainsi, le fixant droit dans les yeux, elle s'approche plus près encore et d'un geste agile, pique et pince. C'est entre son index et son pouce délicats qu'elle cueille son œil comme on cueille un camélia. Le garçon hurle, croyant sentir la torture. Son regard porte une peur d'enfant, mais que s'est-il réellement passé d'antan ? Il porte ses doigts vers sa cavité orbitaire, et attend. Attend lui aussi. La main profondément entrée dans son crâne, il guette l'éclaboussure du sang, la déchirure, la brûlure, mais rien. Non rien ne vient, ni douleur ni tourment, simplement une sorte de vide, d'absence, de néant. Alors il observe son œil fraîchement cueilli et comprend pourquoi, qui, quoi.
Pauvre garçon. Nonobstant tes actions, ta cruauté, je vois bien que tout n'a pas été raconté. La jolie petite fille cachait bien son jeu. Tu aurais pu te croire libéré d'elle, mais te voilà pris au piège, même dans la mort. Les lèvres du garçon se tordent en une moue grotesque. Il est prêt à pleurer. Camille trouve cela pittoresque, elle rit. Il reste figé dans l'étonnement. J'avoue que la vision est burlesque. Pour qui, quoi, pourquoi, j'étais triste et pleine de joie.
Camille tend sa main. Elle tient l'œil au creux de sa paume. Dans la lumière il est comme un petit globe nacré, d'une pâleur éthérée... C'est un revenant. A-t-il enfin compris qu'il est mort aussi ? Ou reste-t-il prisonnier de son propre déni ? Vulgairement dit, c'était marrant. Quelle idée de croire qu'on est encore vivant quand la mort est notre seul et unique présent. Quoique... Oui, je sais.
Dans cette nuit au voile fin, en haut d'une colline, se dresse une grande maison avec son jardin d’épines et de chagrin. Elle porte tous les secrets de joie et de regret. Ces petites âmes, jolies ou pas, sachez qu'elles ne sont pas les seules à vivre là . Vivre ! Je voulais dire, bien mortes et piégées. Piégées dans d’autres joies, d’autres regrets. Oui, des âmes, il y en a d’autres et les autres sont d’autres récits, d’autres joies, d’autres regrets, d’autres vies, piégées là , dans le déni. Pourquoi, qui, quoi ? Moi je sais et je ne vous dirai pas. C’est comme ça.
 Dans ce temps présent, tout restera en suspens, voyez, nos deux âmes errantes, à la levée du brouillard. Elles répètent la même histoire sans le savoir. D’ailleurs toutes les histoires se répètent, vous ne trouvez pas ? Dans la maison elles sont entrées puis un soir, pas trop tard, dans mes bras, elles sont tombées.
Dois-je partager avec vous que nul ne sait, et nul ne saura, si ce passage de vie à la mort était un hasard ou pas. Tout ce que je sais, est que chez moi le hasard n’existe pas. Il est une invention. Je dirais même, une inversion du cœur pour arrêter les peurs et les pleurs. Oui, peut-être, certainement pour nous rappeler un espoir qui jamais ne meurt. Dans cette maison il n’existe que répétitions, un rythme lent et, à mon goût, il est doux, il est bon, une réelle délectation.
Quant à nos deux jolies âmes égarées, tout ce que je peux dévoiler, c'est que chaque année, Camille ne dit rien. Dans sa main, l’œil du jeune garçon elle tient. Dans un an ils seront là et je serai là , assise en haut de cet escalier, à les regarder. Qu'ils soient divertissants ou pas, peu m'importe, tous deux me procureront une grande joie. Pourquoi, qui, quoi ? Moi je sais. Enfin... je crois.









